vendredi 5 avril 2013

La misogynie de gauche


Mhairi McAlpine
 

D’abord Gerry Healy, ensuite Tommy Sheridan, George Galloway et maintenant Martin Smith. Pourquoi est-ce que tant d’hommes qui obtiennent des postes de direction dans les organisations socialistes sont aussi ignares des droits des femmes que pour abuser sexuellement des femmes, excuser les violences sexuelles et participer à l’exploitation sexuelle ?

La plupart des lectrices seront trop jeunes pour se souvenir du scandale qui a touché le Workers Revolutionary Party. Dirigé par Gerry Healy – un troskiste internationaliste reconnu -  le parti a implosé en 1985 après que Aileen Jenning, secrétaire de longue date de Healy, ait envoyé une lettre au comité central du parti pour dénoncer le fait que le siège central du parti et la résidence de Healy (qui se trouvait à côté) ont servi de lieu pour des « liaisons sexuelles opportunistes ». Ou, dit moins délicatement, que Healy violait de manière systématique des membres féminins du parti, en usant d’une combinaison d’intimidations et de menaces non voilées de violences pour s’assurer leur silence.

Vingt-six femmes révélèrent avoir été violées par Healy, dont une fut si violemment frappée qu’elle en resta handicapée. Le WRP a implosé.

Plus récemment, le Parti Socialiste Ecossais s’effondra suite à la révélation que sa tête d’affiche, Tommy Sheridan, était un habitué des sex clubs. La tentative de Sheridan de poursuivre « News of the World »  a échoué après que la majorité de la direction ai refusé de mentir sous serment alors qu'il tentait de dissimuler ses relations sexuelles douteuses. Il a d'abord porté plainte pour diffamation et a eu gain de cause, mais cela fut rapidement suivi de procès pour parjure et d’autres histoires à propos de son implication dans d’obscurs règlements de comptes entre personnes du milieu de l’industrie du sexe. Bien que la direction ai pris ses distances de Sheridan, le mal était fait.



L’année dernière, George Galloway a déclaré publiquement que, dans certaines circonstances, le viol relevait tout au plus des mauvaises manières. Lorsque Selma Yacoob se désolidarisa de cette affirmation, Galloway passa à l’offensive et, endéans le mois, l’unique parti de gauche à être dirigé par une femme a perdu sa dirigeante, puisque les membres du parti ont déclaré sa position intenable, préférant soutenir un célèbre misogyne plutôt qu’une importante femme de couleur.

Et maintenant Martin Smith. Des rumeurs d’abus sexuels, de violences domestiques, de violences sexuelles. Ces rumeurs qui ont été étouffées par le parti, ont circulé pendant des années. Et plusieurs d’entre elles pointaient directement le Secrétaire National, Martin Smith. Le scission qui a donné lieu (...) à International Socialist Group a été en grande partie provoquée par la volonté de passer sous silence les accusations et par le refus de la direction de mener une enquête correcte. Ils ne mentionnent pas clairement dans sa déclaration la véritable raison pour laquelle ils forment une nouvelle organisation. Mais la boîte de pandore est ouverte. Le dernier congrès du SWP qui vient d’avoir lieu comptait deux fractions déclarées et on entend parler d'une troisième depuis que des personnes proches du SWP parlent d’une déclaration écrite qui circulerait entre les femmes du parti pour confirmer que Martin Smith est bien un prédateur sexuel.

Il faut poser la question :
Pourquoi les misogynes arrivent à de telles positions de direction dans la gauche ?

Premièrement, il y a simplement le fait que beaucoup d’hommes sont des misogynes. Ce n’est vraiment pas exceptionnel. Par conséquent, il n’est pas surprenant que pas mal d’entre eux fassent leur chemin dans les organisations de gauche. Nous ne devons pas nier le fait qu'au moins un certain nombre d’entre eux peuvent émerger dans les organisations de gauche radicale, il faut s’y attendre. De la culture du viol à la culture de l’obscénité, les misogynes sont partout. Un homme sur vingt a violé au moins une personne, avec une moyenne de six viols/personne. Nous devons par conséquent envisager une manière de limiter les opportunités, et en particulier la violence sexuelle, à la misogynie de se manifester dans nos organisations.

Dans les organisations où les hommes possèdent le pouvoir, ceux-ci peuvent en attribuer un peu aux femmes qui couchent avec eux. Quand un militant important démarre une relation avec une militante femme moins connue, les responsabilités et les faveurs politiques peuvent affluer en conséquence. En utilisant le militantisme de cette femme pour sa propre sphère d’influence, il bénéficie d'une consolidation de son pouvoir, puisqu'il exerce un contrôle indirect qui sort des organes de direction. Cela peut être utilisé pour maintenir une relation qu’une femme désire rompre. La fin de la relation avec l’homme signifiant la fin de l’importance de la militante lorsque son ex-amant cherche à la marginaliser dans l’organisation, tandis que d'autres, par  ressentiment pour les faveurs réelles ou fantasmées, en arrivent à mépriser son travail politique.


Au sein d’un tel environnement, les amantes ou compagnes des militants avec une certaine expérience sont promues comme des militantes reconnues de l’organisation.  Toute supposition de domination masculine est contrecarrée en pointant ces militantes femmes. De même, la reconnaissance qu’elles auront pendant la durée de la relation sera instrumentalisée pour s’assurer qu’elles ne contesteront pas la domination de ces militants hommes. La loyauté personnelle et politique s'entrelacent et dans les deux c’est toujours l’homme qui tient la barre.

Les hommes, comme groupe, gagnent du pouvoir grâce aux violences sexuelles des autres hommes. Les femmes sont conditionnées à craindre les violences sexuelles, par conséquent elles prennent moins facilement part à des réunions qui se terminent fort tard le soir. Pour des raisons de sécurité, elles partent plus tôt pour prendre les transports en communs au lieu de rentrer chez elles à pied. Bien que les hommes en soient aussi parfois victimes, ils ne craignent pas cette violence de la même manière. Donc, se rencontrer, ou discuter, avec des connaissances politiques hommes n’a pas les mêmes implications pour les hommes que pour des femmes. Les hommes peuvent organiser des rencontres dans des lieux hostiles pour les femmes et ensuite râler parce que les femmes ne viennent pas. Les femmes se disciplinent à éviter un certain nombre d’engagements qui pourraient « amener quelqu’un à penser que » ou « donner à quelqu’un une mauvaise impression », en limitant constamment leur implication dans des organisations principalement au pouvoir des hommes.
  
Le retour de flammes auquel les femmes sont confrontées lorsqu’elles portent des accusations de violences sexuelles est un autre facteur. Une prise de position entre " se plaindre à la Police" ou "dire que rien n’est arrivé" réduit les femmes au silence dans des milieux où la police est reconnue comme un pouvoir d’Etat avec un bilan catastrophique dans la gestion des cas de viol, en particulier lorsque le violeur était connu de la victime. Beaucoup de femmes qui ont subi des violences sexuelles ne vont pas voir la police – on peut comprendre pourquoi – donc, quelle que soit la décision qu’elles prennent, ce sont les femmes qui sont perdantes. Seulement 5% des accusations de viol donnent lieu à des condamnations. Aller à la police avec une accusation contre un membre important d’un parti de gauche radicale amène à être considéré comme un indic et a 95% de chances de n’aboutir à aucune mise en accusation, la suite de l’histoire étant apparemment l’aquitement de l’agresseur et la diabolisation de la victime – ce qui rend encore moins probable que les victimes poursuivent leur démarche.

Cependant, la tentative de gérer des violences sexuelles au sein de l’organisation n’a pas donné un bon bilan non plus, en particulier lorsque l’agresseur avait une position de pouvoir. Mener une action contre l’agresseur tout en maintenant le niveau de confidentialité nécessaire pour la victime revient à naviguer dans des eaux minées par les accusations de « fractionnisme » et de « lutte pour le pouvoir ». Toutes ces accusations ne sont pas forcément sans fondement ; des hommes avides de pouvoir au sein des partis politiques, qui chercheraient à capitaliser les méfaits de membres éminents afin de faire progresser leur propre position. La loyauté envers ceux qui détiennent le pouvoir, et les dissimulations qui en découlent, sont récompensées, tandis que d’autres tentent de profiter de la tempête dans le pouvoir pour asseoir leur propre base. Et bien souvent on oublie complètement la question fondamentale, à savoir que les femmes sont systématiquement exclues du pouvoir collectif à cause des violences sexuelles masculine.


A l’intérieur de telles organisations, où le pouvoir des hommes n’est pas remis en cause, les femmes sont utilisées comme des pions, et les violences sexuelles ne sont pas relevées, les misogynes voient leur comportement encouragé ou couvert, ce qui les amène à cette incroyable arrogance de croire qu’ils sont non seulement au dessus de leurs camarades femmes, mais aussi au dessus des lois. Ils se replient sur leur identification à l’organisation et sur les dégâts que l’organisation subirait si de telles révélations se savaient. Tout ça mis  ensemble leur permet de se protéger des accusations. La domination masculine se maintiendra tant qu'il y aura cette complicité entre les abuseurs et les misogynes craintif d’une telle mise en lumière.

Pour Saville comme pour Smith, le silence ne peut plus durer. Là où les femmes étaient avant isolées, face à un monolithe de pouvoir consolidé, il y a maintenant de nombreuses opportunités pour les femmes de parler à d’autres femmes de leurs expériences face à la misogynie et à la violence, et de l’affronter, activement et réellement.

La gauche est la maison du féminisme et il est temps que nous commencions à foutre les misogynes dehors !

traduction pour sexisme, féminisme et gauche : rebelderosa


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